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Soumis par Gizmobibi le mar 25/06/2024 - 21:51
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Pour poster des tranches de vie de nos personnages perdus dans cette immensité spatiale...

Lisa Gantzmann en avait plus qu’assez.

Il lui avait fallu plusieurs semaines pour parvenir à cette conclusion. Cela faisait trop longtemps que la Compagnie les menait en bateau.

La mission était pourtant très alléchante sur le papier, et elle avait cédé bien volontiers aux sirènes d’un salaire prometteur. Car il lui fallait du cash. Beaucoup de cash. Et très rapidement.

Stationnée depuis 5 ans à Ganymède, Lisa avait fait son trou. Patiemment, elle s’était construite une vie stable et plutôt confortable, avec son amie Julie et son neveu, malgré les incertitudes. Mais les pressions exercées sur sa famille l’avaient bien forcée à revoir sa position. Elle seule avait les capacités nécessaires pour débloquer rapidement cet argent, et elle avait trouvé cette opportunité dans le contrat proposé par cette Compagnie,  spécialisée dans l’extraction de minerais rares. A condition que cette mission de 3 mois s’effectue sans aucun contact avec l’extérieur. Cela s’expliquait par la valeur élevée des matériaux transportés, et le secret jalousement gardé de leur localisation. Soit. Pourquoi pas. Sur le coup, elle n’y avait vu que du feu.

Elle avait embarqué dans l’aventure son ami Liu, pilote de son état, et jamais fâché d’aller voir du pays. Et elle était drôlement contente qu’il soit là.

Car la vie à bord, malgré les bonnes conditions de travail, devenait de plus en plus anxiogène.

D’abord, les équipes étaient divisées suivant leur « corporation » par un uniforme de couleur différente. Elle et Liu faisaient partie des « Gris », autrement dit, les petites mains, les ouvriers, techniciens, agents de maintenance, cuistots…. Liu était pilote, mais il n’avait pas eu droit à la couleur rouge des officiers et pilotes en fonction, il n’était là que pour assurer pendant les quarts de repos des titulaires. Et même pour lui, il était difficile de deviner où ils allaient.

Car cela faisait déjà deux fois que la mission était prolongée, sans vraiment savoir pourquoi, ni les étapes ajoutées à leur trajet. Le rationnement n’était pas encore effectif, mais sans certitude sur la date de retour, ni surtout l’assurance d’être effectivement payés, la grogne commençait à se répandre dans l’équipage. Assez insidieusement, la peur et les questions sans réponse commençaient même à effriter le calme affiché de certains officiers.

Et s’il y avait bien une chose que Lisa détestait, c’était la hiérarchie. La bureaucratie paralysante. Les mieux-pensants. Elle avait beaucoup, beaucoup pris sur elle, depuis le début de la mission. Pour Nicolas. Pour l’argent. Mais la coupe menaçait de déborder. Trop de secrets.

Elle avait l’habitude des vols de longue durée, elle était Ceinturienne, l’espace entier était son foyer. Et l’intérieur confiné d’un vaisseau avait pour elle les échos familiers d’un terrain de jeux qu’elle connaissait par cœur. Le discret bourdonnement du réacteur et de la propulsion. Les sifflements et les chocs sourds et constants des systèmes hydrauliques et des serrures en acier, quand les portes pressurisées entre les ponts s’ouvraient et se refermaient. Le martèlement ouaté des lourdes bottes arpentant les planchers métalliques. Mais même cette douce musique était gâchée par le cloisonnement des allées et venues. Une grande partie du vaisseau lui était interdite, ce qui avait le don de la pousser à défier les barrières qui la rendaient comme prisonnière. Elle était chez elle, du moins, temporairement, dans ce vaisseau. Et pas question  de la contraindre sans savoir.

Elle avait sa petite idée sur la façon d’agir. Elle n’était pas seule. Au cours des derniers jours, elle avait discrètement sondé ses co-équipiers, ceux qui fermaient les yeux, ceux qui avaient trop peur de ne pas être payés. Et ceux qui en avaient marre qu’on les prenne pour des Sabaka.

L’espace appartenait aux Inyalowda.

Et ils allaient le reprendre.