Moi, Hynek, je suis un gars de la campagne. J’aime les choses simples, visibles, sans artifice. Pour le coup, je suis très mal servi. Ce n’est pas faute de l’avoir dit plusieurs fois, après notre petit tour dans cette pièce glauque de torture et d’enfermement, nous aurions dû rentrer sans demander notre reste. La curiosité est une qualité appréciable lorsqu’elle s’applique avec discernement et circonspection. Mais là, nooon, bien sûr, avançons gaiement dans l’inconnu avec audace, ce pauvre Hynek, il n’y connait goutte. C’est pas comme si c’était mon job, les enfants, hé, oh ! Traitez-moi de vieux bouseux. Ils sont fous, ils sont tous fous. Même le seul compère avec un tant soit peu de bouteille dans ce groupe, le savant fou… Eh ben, il est fou.
Pourtant, tout mon instinct me hurle de rebrousser chemin. Cela fait bien vingt minutes que nous avançons à tâtons dans les couloirs de l’Hypogée. Le sol est sale, indistinct, hormis les quelques traces de pas et de … griffes. Oui je suis certain qu’il s’agit de griffes. Et le genre de créatures qui s’affublent de pareil appendice, eh bien, de là d’où je viens, il vaut mieux les éviter. Mais non... Pauvres fous, tous autant qu’ils sont. C’est comme l’histoire de la petite souris et du…. Non, mais là, pas le temps pour ça.
J’ai l’impression que mon cœur remonte dans ma trachée à grands coups de petits marteaux, j’en ai les orteils qui flageolent. A la faible lumière dispensée par le Lumen de notre ami photographe, je sens les murs recouverts d’une mousse jaunâtre, comme du pus s’écoulant d’une plaie faisandée. Le silence n’est rompu que par de faibles chuintements rythmés, est-ce l’écho des digesteurs des étages supérieurs ? Mon palpitant qui s’affole ? Ce ne serait pas plutôt un sifflement strident, en fait, me vrillant l’oreille que j’ai fort sensible, et augmentant d’un cran la tension s’accumulant dans toutes les fibres nerveuses de mon être.
Alors que nous progressons, certes, avec précaution à défaut de prudence, nous percevons un faible vagissement, une plainte émise d’une voix chevrotante : « à l’aide »… et pas qu’une fois ! Bon sang, c’est sûr, il y a quelqu’un dans cette antichambre de l’Enfer. Et quelques pas plus loin, au détour du couloir, la masse indistincte qui gît affalée contre le mur, éclairée par le Lumen tremblotant… Il s’agit bien d’un homme, oui, mais dans quel état !! On dirait que son corps a déversé ce qu’il contenait de fluides corporels, une flaque sombre et malodorante s’étale grandissante sous ses entrailles… Du fiel ?
N’écoutant que son cœur, l’une des filles de l’équipe se précipite à son chevet. Pas bon, ça, pas bon, première erreur, quelle naïveté ! Le pauvre type est manifestement quasi cané.
Redoutant un coup fourré, j’avance de quelques pas plus loin dans le couloir, tous les sens aux aguets. Et c’est là que j’aperçois l’éclat rouge d’yeux très clairement bestiaux, avant même d’entendre la créature émettre un grondement guttural fort peu amène. Le faisceau fugace du Lumen brandi révèle avec effarement une sorte de canidé monstrueux, puissant, très très noir aussi, avec une mâchoire tout aussi impressionnante et comme des veines cuivrées qui semblent parcourir tout son corps tendu vers l’attaque. Pas bon, ça, pas bon DU TOUT !!
Je lève immédiatement le canon de mon revolver vers cette… chose, que les légendes de ma campagne ne font que vaguement décrire sans jamais avoir eu la certitude que quelqu’un en est revenu vivant pour le raconter de première main. Le coup s’apprête à partir quand une autre voix discordante et railleuse, à l’opposé du couloir, nous apostrophe presque avec délectation : « eh bien, eh bien, qu’avons-nous là, mon petit Bichon, de la chair fraîche à se mettre sous la dent ? » Le Lumen du photographe effaré révèle ce qui reste d’un homme obèse, difforme, d’une laideur et d’une saleté repoussantes, vêtu d’un tablier déchiqueté ayant connu des heures plus glorieuses et, je l’espère pour lui, une blanchisseuse plus consciencieuse. Il est armé d’un couteau de boucher à la lame constellée de tâches douteuses et d’un crochet fort pointu. Mais le pire, ce sont ses yeux, petits, sournois, moqueurs, et pourtant d’un noir insondable et terrifiant.
Mon cœur opère une brusque chute vertigineuse dans mes orteils. Alors que je me retourne avec toute la vivacité que me confère mon instinct de survie, la créature dénommée Bichon bondit soudain à une hauteur proprement impossible pour me dépasser à une vitesse vertigineuse et refermer sa mâchoire dévastatrice sur ma collègue au grand cœur ! Je n’ai rien pu faire !!!
Je vous l’avais bien dit ! Mais nooon, on n’écoute jamais Hynek, ce vieux bouseux… Fous, ils sont tous fous ! Et foutus, j’en ai la certitude ! Couic, la petite souris !
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